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Textes d’auteurs

Aquarium préambule

L’histoire de l’Aquarium que nous racontons est d’abord un témoignage sur un lieu qui n’existe plus mais c’est également l’histoire d’une grande amitié ; dans les années 80 nous avions le désir de développer un projet ensemble, sans savoir réellement quoi – un projet lié à nos sensibilités et nos façons d’être au monde.

A l’époque je faisais de la peinture, des grandes toiles, ma dernière série s’appelait SPIRE ANIMALE, j’étais très préoccupée par des formes ombilicales qui traversaient mes peintures, des très grands formats plutôt géométriques. Jean-Pierre Godeaut, lui était photographe, des photos de lieux, de jardins pour les plus belles revues de design et d’architectures, et un travail personnel sur les architectures croisées au cours de sa vie de grand voyageur.

A travers ces deux expériences nous partions dans des rêveries de lieux mystérieux qui nous habitaient et où nous pourrions habiter et créer quelque chose qui n’appartiendrait qu’à nous.

Un jour de l’été 1987 dans nos promenades/rêveries nous étions probablement dans les jardins du Trocadéro et nous arrivâmes, en dessous de la cinémathèque de Chaillot, devant cette entrée souterraine avec des grilles fermées. Et là tout revint à ma mémoire : Mon Aquarium, celui de mon enfance, l’aquarium du Trocadéro.

J’ai passé mon enfance non loin de ce lieu tellement étrange dans les années 60. C’était un endroit où j’adorais allé et qui certainement a fait partie de la construction de mon imaginaire. Son souvenir a toujours été omniprésent : la lumière glauque, les fausses grottes, l’odeur de moisi, la peur de cette pénombre, les poissons, ces animaux fuyant derrières des vitres abîmées devenues presque opaques, des coulures verdâtres ressemblant aussi bien à des souillures qu’à de sublimes mousses tropicales, un endroit très sexuel pour une enfant comme moi. Le tout d’un grand romantisme, lié à un sentiment d’abandon, de détérioration… de vie et de mort ; c’était ce qui émanait de cet endroit si particulier.

L’Aquarium était fermé et totalement abandonné depuis pas mal d’années quand nous le retrouvâmes ; et ce fût comme une évidence c’était là que nous devions développer un projet artistique ensemble.

Donc sans savoir où nous allions, c’était comme une urgence de pouvoir déjà être à l’intérieur. Le rendez-vous avec les Parcs et jardins de Paris fût pris et dans la semaine on nous donnât l’autorisation écrite de travailler sur place et les clés de l’Aquarium.

Notre délire pouvait commencer.

Tous les jours comme un appel, nous allions à l’aquarium. Nous passâmes au moins 3 mois à l’intérieur, à échafauder des scénarii différents. Moi je voulais juste y vivre, y respirer, y rêver, y retrouver une absence. Jean-Pierre lui voulait aller plus loin, il voulait du concret.

L’évidence des aquariums vides : nous devions remplir … avec des poissons morts ? Avec des femmes ? Avec des tuyaux de caoutchouc noirs ? Nous ne savions pas trop. C’était devenu un rendez-vous, tous nos amis passaient avec différents accessoires pour poser dans les bassins, ou en tant que spectateurs. Les vitres étaient d’une épaisseur incroyables, nous avons du louer des talkies walkies pour pouvoir communiquer d’un côté à l’autre, les téléphones portables n’existaient pas. Nous avons découvert les coulisses de l’aquarium : des passerelles au dessus des bassins pour les employés qui donnaient à manger aux poissons et nettoyaient, quand les bassins étaient remplis d’eau celles-ci étaient invisibles.

Ce qui était flagrant quand il n’y avait plus ni poissons ni eau, c’était le côté regardeur/ regardé, donc mateur et exhibitionniste. Nous étions donc très loin du sens originel de cet endroit qui avait une vocation pédagogique. En fait cela aurait pu être le plus beau et le plus grand peep-show de Paris ! Quand nous l’avons investi dans cette deuxième moitié des années 80, avec nos personnalités fragmentées par beaucoup d’expériences, et à une époque où dans un certain milieu parisien l’angoisse du sida était palpable, ce lieu se prêtait particulièrement à cette expérience. Nous sommes restés très sages et avons juste évoqués des fantasmes alliés à un désir de faire oeuvre dans ce lieu avec ce que nous étions. Nous avons fait des mises en scène. Jean-Pierre a fait les photos et moi … je respirais, j’organisais, nous montrions notre cul avec des amies, intouchables derrière ces vitres.

Le résultat est assez impressionnant : d’un côté les photos de Jean Pierre assez proches du surréalisme et pleines de références, et d’autre part un reportage sur cet endroit oublié.

Aujourd’hui c’est le seul document qui reste de ce que fût ce monument improbable, l’Aquarium du Trocadéro.

Cet endroit a été racheté dans les années 2000 après plus de 30 ans d’abandon, il a été démoli et reconstruit à cette même place, un aquarium extrêmement moderne pour une nouvelle génération.

Marjolaine Dégremont, 
novembre 2016

 

I have always loved damp underground places, tunnels, cellars and even car-parks and the subway. They provoke in me a feeling of well-being, inspired no doubt by an uncertain childhood memory, a cavity inside my consciousness. I approach these places with my sense of smell, breathing in, filling my lungs with the humid coolness laden with mould, saltpetre and all those indefinable things that live between earth and water. I find this olfactory complexity calming, healing, reassuring, to the point that an intrusion into such ecstasy by a perfumed human being could almost make me turn violent.

It was in this way that I often used to spend time at the Aquarium in the Trocadero as a child, breathing and day dreaming. This is also how I felt when I accompanied Jean Pierre Godeaut there in the summer of 1987 while he was taking all these photographs.

We were alone in the world, lost in the abandoned grottoes. He was off into his own dream world, and I breathed in… drinking my fill to the point of intoxication.

Marjolaine Dégremont, 
22nd march 2007


Âmes invisibles – Génies des lieux

Silhouettes furtives, présences incertaines, regards distants et sourires discrets, poitrines fières à l’unisson des décors, ces hommes et femmes toisent l’objectif ou le fuient hâtivement.  Parfois ils nous invitent à entrer dans le décor. Nous pénétrons alors à leur suite dans ces maisons, leur maison, dont ils préservent jalousement l’histoire et les secrets. Certains nous signifient, raideur furtive, que nous sommes intrus. Raffinés, à l’harmonie du silence des lieux dont ils possèdent les clés et l’histoire. Dans cette perfection, on perçoit la lenteur nécessaire, les rythmes devenus au fil du temps rituels, travail d’amour et de tendresse.

Jean Pierre Godeaut nous dévoile ces âmes invisibles, gardiennes de temples narcissiques qui se voudraient éternels. Porteurs du temps, leurs poses simples inspirent notre respect. Domestiques de maisons patinées par leurs soins incessants. Nul n’en saura plus sur ces vies de coulisses aux pudeurs indicibles, jamais partagées, sur ces vies cachées au public que nous sommes.

Une distance s’installe, la photo est faite, éclipsons nous.

Les photos de Jean Pierre Godeaut percent avec délicatesse la poésie naturelle de ses sujets, elles transcendent le visible. Son œil tendre s’est posé ici sur ces hommes et femmes de l’ombre au sein de décors majestueux, habitants invisibles de ces lieux et qui en deviennent les maîtres véritables.

Quitterie des Monstiers
2016


Libid’eau

Nous avons tous dans les galeries souterraines de notre imaginaire un aquarium où se meuvent, glissent, s’ébattent de vives et ondoyantes créatures nées de l’écume de nos rêves, de nos fantasmes, de nos désirs errant, à l’image d’Aphrodite, née de l’écume de la mer vue par les anciens comme le sperme de Zeus. Chacun ses délires. Chacun ses délices dont notre aquarium est le vivier, nourri au fil des jours et des nuits de visions aphrodisiaques comme autant de pêches miraculeuses levées dans l’océan de nos appétits charnels. Armé de son inséparable appareil, Jean-Pierre Godeaut s’est décidé, un beau matin, à faire une descente dans son propre aquarium à l’affût des naïades, sirènes et autres ondines qui le hantaient. Oui, il fallait pouvoir caresser de son objectif leurs charmes fluides et filer leurs folles sarabandes en eau douce. Enfin, il allait pouvoir donner corps et substance pérenne à ses visions fugitives noyées dans le ressac de ses rêves. Un vrai travail de pêcheur de perles qu’il nous donne aujourd’hui à voir dans ses « MYSTERES DE L’AQUARIUM ».

Georges Marbeck
Mars 2007

In the underground galleries of our imagination, we all harbour an aquarium where undulating creatures slide, move about and vivaciously flitter. Born of the white foam frothing on the waves of our dreams, fantasies and wandering desires, they resemble Aphrodite begotten from the meerschaum our ancient ancestors took to be the sperm of Zeus. To each his own delirium. To each his own pleasure of which our private aquarium is the fount, replenished during the course of our days and nights by aphrodisiac visions, a miraculous catch arising from the ocean of our carnal appetites. One sunny morning, Jean-Pierre Godeaut, armed with his inseparable camera, decided to descend into his own internal pond in search of the naiads, mermaids and other water sprites that haunted him. At last, with his camera lens, he was able to caress their fluid charms, follow them through the sweet water and join in their outlandish sarabands. In the end, he gives body and an eternal substance to the fugitive visions floating in the backwaters of his dreams. Jean-Pierre Godeaut is a pearl diver who has worked to bring to the surface the “MYSTERIES OF THE AQUARIUM.”

Georges Marbeck
March 2007


The mystery of the aquarium

In a project like the ‘Aquarium’, one can trace the photographer’s passion for the water goddess, called woman. It awakens our archetypal memory of swimming in the golden age of the womb, where there are only liquids and fulfilled desires. These photos of suspended nude women in aquariums move our curiosities, compelling us to dive into these sealed boxes to touch and rescue each siren. Liberated from phobias, entering the magic of each photo, we can share the same instant in which the photographer has frozen time. Here is another mysterious journey with multiple interpretations, as in all the work of Godeaut, from his labyrinth of panoramic inner landscapes, to the tight aquariums with their conserved energies and marvels. We are fascinated by the photographic career of Jean-Pierre Godeaut because his work stirs our imagination and haunts us at the same time.

Nabil Naoum,
february 2007